L’art d’être Européen

Huffington Post

Quelle Europe pour demain? Ainsi posée, la question suppose que nous devrions imaginer un nouveau modèle, hors des sentiers battus, rebattus et re-rebattus. La nouvelle gouvernance des institutions que nous proposons n’est pas éloignée de nos sources gaullistes: la nécessité d’un sursaut et d’un pas en avant, quitte à ne pas plaire. En fidèles, nous retenons « la doctrine des circonstances » chère au de Gaulle militaire. La caractéristique de la réflexion européenne réside en la permanence des fondamentaux: quelles articulations entre nos Nations et l’Europe? Comment l’axe franco-allemand doit il vivre et grandir?

Comment gérer la spécificité britannique ? Quels rapports entre la Commission et nos gouvernements ? Ces questions nous poursuivent depuis trop longtemps pour ne pas leur amener une réponse à l’occasion de ce que nous considérons comme l’essence démocratique: le référendum. Convenons du périlleux de l’exercice pour qui n’a pas la force de s’y soumettre. Mais l’Europe en a besoin; les Français le demandent.

Lors d’un entretien avec Alain Peyrefitte, le 24 avril 1963, en préfecture de Châlons, le Général de Gaulle esquisse clairement un avenir européen: « La Communauté économique européenne n’est pas un but en soi. Elle doit se transformer en communauté politique! Et même, elle ne peut continuer à constituer une vraie communauté économique qu’à condition de devenir à ma longue une communauté politique. Il faut apprendre à coopérer; et quand ce sera fait, les institutions se resserreront d’elles-mêmes. (…) Ce qui est possible, c’est qu’après l’apprentissage de la coopération politique, on prenne l’habitude de prendre des décisions au sein des Conseils des ministres européens ». Alain Peyrefitte s’empresse alors de lui demander: « A la majorité, ou à l’unanimité? » Et de Gaulle de répondre sans hésiter: « Il faut commencer par l’unanimité, et on verra bien. Je ne peux pas dire ce qui se passera dans cinquante ans à l’avance. Mais il faudra peut-être bien attendre cinquante ans pour qu’il y ait une véritable communauté politique. Regardez les Etats-Unis, ils ont mis quatre-vingts ans pour passer de la confédération à la fédération. Des siècles d’histoire ne s’effacent pas d’un coup ».

A la lecture de cet entretien, acceptons immédiatement deux héritages: celui de la pensée gaulliste et celui de l’histoire européenne. Nous sommes légitimes à imaginer cet avenir sous le prisme du gaullisme et nous avons le devoir, plus de cinquante après, de considérer l’héritage européen raisonnablement. Le temps politique est venu.

Aujourd’hui, à trop s’enfermer au sein de modèles anciens, nous reculons. Ce n’est pas notre vision du gaullisme en 2014 et surtout pour les décennies à venir. En 2000, Hubert Védrine répondait déjà à son homologue allemand d’éviter les « controverses théoriques ». Les a-t-on jamais dépassées? L’entêtement politique à aboutir coûte que coûte lié au confort intellectuel n’a permis d’aboutir qu’à la Convention sur l’avenir de l’Europe présidée par Valéry Giscard d’Estaing en 2002. Avec le succès que nous lui avons connu: le traité de Rome signé en 2004 et n’inspirant pas plus confiance dans une démocratie européenne n’en ayant que le nom, aucun attribut. La lisibilité n’étant pas au rendez-vous, le rejet n’en a été que plus fort de la part de nos concitoyens européens. Et il serait prétentieux de parler de Constitution, à l’aune de la Conférence de Philadelphie qui a réellement aboutie à la Constitution des Etats-Unis. Tentative louable, mes les germes de l’échec étaient contenus dans les prémices de l’organisation: aéropage de 118 membres (et leurs suppléants), 11 groupes de travail et autant d’avis multipliés. Sans qu’aujourd’hui un seul parlementaire en fonction ne s’en souvienne ou n’utilise le rapport final du groupe « Simplification ». Ne rions pas d’un groupe dont l’objet premier aurait pu suffire à constituer la solution à beaucoup des maux reprochés aujourd’hui encore reprochés à l’Union européenne… De plus, cette Convention incarnait ce que tous reprochent fermement à l’Union européenne: une construction par la haut et pire encore, une élaboration indigeste donnant des faux-semblants démocratiques par la participation de groupuscules non représentatifs.

Un nouveau modèle institutionnel à établir…

Le débat entre fédéraliste et souverainiste est vain. Et la question d’un éventuel curseur imaginaire n’est pas plus opportune. Nous avons un objet fabuleux avec l’Europe tant il est nouveau. Alors, pourquoi réduire une construction dont l’imagination devrait être le maître mot à l’aune des enseignements de l’histoire contemporaine? Tout simplement parce que nous n’avons pas consenti l’effort suffisant. Etre créatif est parfois plus complexe que se borner à reproduire les mêmes échecs. Quels citoyens européens peut clairement énoncer les différences entre le Conseil européen, le Conseil de l’Europe et le Conseil de l’Union européenne? Sans pouvoir répondre, il devient un peu moins citoyen… et comment pourrait-on lui en vouloir? Cet exemple n’est malheureusement pas isolé et incarne comme d’autres l’éloignement européen.

Nous devons incarner l’audace propre à notre temps sans se couper de nos fondamentaux. Nous proposons un remodelage des institutions européennes basé sur les institutions françaises. N’est-ce pas là le rôle de la France? Alors oui, la Vème République a été, pourrait-on dire, malmenée. Constatons qu’elle a plutôt été adaptée aux circonstances de notre temps, du quinquennat à la codécision en passant par l’expression de l’exécutif devant le parlement réunis en Congrès. Mais nous disposons de quelques éléments essentiels qui permettraient à chaque européens de mieux se projeter au sein d’institutions rénovées.

En conséquence, nous proposons d’agir autour des 2 institutions fondamentales de l’Union européenne: son incarnation législative de source parlementaire et nationale; son incarnation exécutive.

Le parlement européen reste le poumon démocratique de l’Union européenne. La stabilité du nombre de parlementaire est louable et le mode de scrutin reste équilibré. Aujourd’hui, le Parlement n’est plus contesté dans ses prérogatives qui se sont vues renforcées au fil des modifications institutionnelles. Pour nos concitoyens français, l’Europe a un visage en région: celui de nos parlementaires. Cette source démocratique est à renforcer. Nous ne connaissons pas d’autre signal fort qu’une représentation du pouvoir au sein d’un hémicycle afin de redonner confiance aux électeurs. Le déficit de confiance envers les institutions actuelles n’est plus acceptable. Et nous ne changerons pas les citoyens de chaque pays.

Les réunions du Conseil de l’Union européenne doivent devenir un lieu d’expression politique des gouvernements nationaux. Il n’est plus souhaitable d’isoler les politiques par thématiques tant l’interdépendance est forte. Par ailleurs, le Conseil européen ne peut plus se réunir avec une fréquence aussi faible. Avec les chefs de gouvernement, les rencontres plénières mensuelles amènent un engagement plus fort de la part des gouvernements nationaux. Réuni en chambre, la Chambre des Etats, les exécutifs nationaux impulsent les grandes orientations et contrôlent en lien avec le Parlement leur réalisation.

Un système bicaméral présente plus d’avantage que des réunions intermittentes du Conseil. En conséquence, la création d’une chambre des Etats composée des membres des différents gouvernements nationaux amènerait une procédure législative simplifiée par rapport aux procédures actuelles. Sur le fonctionnement de la navette française tout en conservant l’initiative et le dernier mot au Parlement, les règlements et directives seraient établis sur un mode pus concerté que contraint.

La Commission européenne concentre toujours autant d’acrimonie. Il convient de ne plus opter pour un cénacle d’experts au rôle législatif certes compétents mais détachés de tout processus démocratique. En réduisant le nombre de commissaires non plus en lien avec le nombre d’Etats membres mais en rapport avec les domaines de compétences de l’Union européenne, nous pourrions gagner en lisibilité. Les tentatives permettant de rendre les Commission européenne plus démocratique, notamment en exerçant un vote du Parlement pour valider la nomination des Commissaires et du Président, n’amène finalement que peu de démocratie. A distribuer des simulacres, on ne retient plus l’objectif final. Finissons en avec une Commission pléthorique et limitons le nombre de commissaires à 15 selon les domaines suivants:

  • Agir pour le climat
  • Agriculture, pêche et alimentation
  • Culture, éducation et jeunesse
  • Économie, finances et fiscalité
  • Emploi et droits sociaux
  • Énergie et ressources naturelles
  • Entreprises
  • Environnement, consommateurs et santé
  • Fonctionnement de l’Union européenne
  • Justice, affaires intérieures et droits des citoyens
  • Politique étrangère de l’UE
  • Politiques diplomatiques
  • Régions et développement local
  • Science et technologie
  • Transports et voyages

Ces nouveaux commissaires seraient issus de la Chambre des Etats et responsables devant le Parlement européen pouvant en prononcer la destitution par vote à la majorité. A leur tête, un responsable porterait les grandes orientations issues de la Chambre des Etats, au même titre que le Premier ministre le fait en France.

La quête identitaire que nous vivons en Europe doit trouver une réponse claire. En cela, l’Europe des cercles et des projets est une solution. L’histoire de la construction européenne valide cette démarche de réunion à quelques pays pour mettre en commun une politique, qu’elle soit fiscale, sociale ou basée sur les matières premières. Prolongement du principe de subsidiarité, cette offre politique est possible, mais mal connue et peu utilisée. Elle doit être encouragée. Retrouvons les énergies du début et l’envie de rêver ensemble. Nos limites sont aujourd’hui bien plus fortes que nos points de convergence. Dépassons-les avec audace! Si les métaux et l’atome étaient auparavant la source de conflits armés mondiaux, les nouvelles formes de guerres modernes ne sont pas moins dévastatrices. Aujourd’hui, il s’agit de guerre économique. Pourquoi ne trouvons nous pas de nouvelles solutions? Pour faire face aux blocs émergents et continuer à promouvoir nos modèles de valeurs si peu différents, accordons nous sur une politique fiscale commune, sur une politique sociale commune qui ne laisse personne au bord de la route. Proposons avec les allemands des charges sociales identiques pour une nouvelle offre de prestations sociales, orientées principalement sur l’offre économique et le marché du travail. Ceci est rendu possible et nous faisons exception dans le monde par fébrilité, peur et manque d’audace. A ce titre, le couple franco-allemand doit montrer le chemin.

Etre gaulliste et traiter la question européenne n’est pas périlleux ni courageux. Les enseignements de l’histoire gaulliste nous préservent et évitent de tomber dans le jusqu’au-boutisme auquel se livrent certains à la veille d’un scrutin majeur pour la France. Etre gaulliste, c’est se poser inlassablement ces questions que de Gaulle se posait, ces questions qui dérangent. Etre gaulliste, c’est ne pas hésiter à bousculer les réponses que d’autres voudraient convenues, conservatrices et régressives pour la France. Etre gaulliste, c’est ne pas hésiter à réviser inlassablement les idées reçues, comme de Gaulle l’a fait toute sa vie. Sur chaque sujet engageant l’avenir de la France et de notre monde, et donc l’Europe en premier lieu. L’idée suprême de de Gaulle, c’est une certaine idée de la France, une France capable d’entraîner les autres nations vers la lumière, vers la liberté. C’est cette idée là qui lui a permis de résister aux fausses évidences comme de résister à la défaite, à la soumission, à la fatalité. L’idéal européen nous permettant aujourd’hui de vivre en paix le mérite et toute une nouvelle génération est prête non pas à le rêver mais à la vivre.

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